dimanche 21 décembre 2008

6ème étape: Istanbul

Constantinople pendant l’occupation
Le 5 juillet 1919, nous avons quitté Salonique à 12 heures à bord de l’Edgineer-Avdakoff navire marchand russe à base d’Odessa construit en 1904.Il fait une chaleur torride, on ne sait pas où se mettre pour avoir moins chaud. Pendant toute la traversée du golfe de Salonique, nous voyons la côte grecque des deux cotés ; la côte est montagneuse et il n’y a ni maisons ni culture. A la tombée de la nuit, nous arrivons dans la mer Egée, contournant les presqu’îles grecques nous sommes peu après en pleine mer.
Le 6 à 9 heures 20 nous arrivons à la presqu’île de Gallipoli. On passe près d’une ville assez importante défendue par un fort. Peu après nous entrons dans le détroit de Dardanelles défendu par les forts de Teke-Teleppe dont plusieurs ont été démolis par la flotte franco-anglaise. Quatre navires de guerre sont échoués ou démolis le long de la côte d’Europe. Le passage est très étroit et nous distinguons très bien les deux côtes. Du côté asiatique se trouve une ville importante défendue par des forts. De temps en temps nous croisons des navires de nationalité étrangère. D’autres nous précèdent. Au bord de la côte, nous apercevons quelques maisons souvent creusées dans le roc ; il y a encore quelques navires de coulés. Encore une ville en Asie avec un camp anglais à côté. Nous sommes devancés par un navire anglais. Ici la température est plus fraîche. En Europe on aperçoit une ville importante toute au bord de la mer ; ce qui rend le voyage si intéressant, c’est que nous distinguons les côtes pendant toute la traversée. Il y a des nuées d’hirondelles qui rasent l’eau tout le long de la côte d’Asie. Des mouettes viennent nous survoler puis vont se poser sur l’eau à la recherche de poissons. De temps en temps, des marsouins de la taille d’un homme s’approchent par bonds sur la nappe d’eau, attirés par le passage du bateau. Du côté européen, on voit moins de montagnes, ce sont des plateaux avec quelque peu de cultures. L’Asie est toujours montagneuse, on distingue toujours quelques villages. Maintenant le détroit devient plus large et nous sommes dans la mer de Marmara, un deuxième navire nous dépasse.A 8 heures 30, nous assistons à un coucher de soleil, qui est très impressionnant, en mer, qui maintenant s’élargit de plus en plus mais qui est très calme. Maintenant que la nuit vient, il ne reste plus qu’à se coucher.
Le 7 juillet à 4 heures du matin, nous sommes réveillées par un bruit de chaînes. On est dans le Bosphore et on mouille en rade. De tous côtés, on aperçoit une multitude de lumières, soit à bord des bateaux soit sur la côte. Le soleil se lève enfin, il est 5 heures 30. On est dans le port de Constantinople au milieu de navires de toutes nationalité. La ville à l’air très intéressante à l’aspect cosmopolite avec des monuments très bizarres, elle fait le tour du port qui est en forme de détroit et qui est traversé par deux ponts qui relient les deux côtés de la ville. On passe ainsi toute la matinée à bord, enfin à 11 heures 40, on lève l’ancre et on nous conduit aux quais et à 12 heures nous mettons le pied en terre ennemie où nous vivons en maîtres depuis 8 mois. Peu après, nous sommes installés dans une ambassade russe en construction. Nous sommes très bien ici dans le centre de la ville et au 6ème, nous dominons une partie de la ville qui est disposée par gradins. Nous avons aussi une belle vue sur le port dont nous voyons tout le mouvement. A chaque instant, il rentre des bateaux. Les personnes qui veulent faire la traversée et aller à Seutarie en Asie n’ont qu’à prendre un des bateaux qui font continuellement le trajet. Le nouveau port a été construit par les Boches en 1911-1912. Il est très chic, monté sur flotteurs, il se partage, livrant passage aux bateaux. Le milieu du pont part ainsi à la dérive et se replie sur le bout qui reste fixe. Ce qui lui donne encore plus d’importance, c’est qu’il est traversé par les tramways et l’électricité qui viennent également d’Allemagne. Les monuments les plus importants sont les mosquées, on en compte six. Des plus importantes, c’est la maison de prière des mahométans : il faut y entrer nu-pieds.La tour de Galata http://www.istanbulguide.net/istguide/artetarch/batimliste/palais/galata.htm et la tour Brûlée http://www.istanbulguide.net/istguide/artetarch/ruinesby/cember.htm sont intéressantes à voir. Il y a des quartiers très chics et riches mais les maisons sont bizarres tout de même. Beaucoup d’architecture et des toitures de toutes sortes, plate-formes terrasses, rondes ou même en clocheton.

Le quartier européen est le plus important et le plus chic, on y cause un peu toutes les langues et j’ai eu le plaisir d’y entendre jouer dans un café cette chanson si populaire « La Madelon ». C’est surtout lorsqu’on est éloigné de son pays qu’on en connaît la valeur ; on recherche une conversation et on s’intéresse à tout ce qui est français avec passion et amour. Beaucoup de maisons portent des drapeaux alliés : que doivent en penser certains Pachas ? En général, la ville est très propre, les quartiers pauvres sont beaucoup commerçants. La température est modérée et le climat est sain.Les mœurs turques sont très bizarres : ils vivent la plupart de légumes souvent crus ou de fruits ; ils mangent rarement de la viande mais jamais de porc.Presque tous les hommes coiffent la chéchia rouge et sont assez bien vêtus. La femme turque porte un grand voile sur la tête qui descend jusqu’à la ceinture : devant, il est très fin et lui couvre la figure, la plupart sont très riches, en soie et de toutes couleurs, sans pourtant être ridicule. Elles ont aussi beaucoup de brillant et des pierres précieuses. Parfois elles relèvent leur voile sur la tête et on peut voir ainsi des femmes des plus charmantes aux traits très fins car à dix-sept ans, elles sont aussi fortes qu’à vingt ans en France. Il y en a aussi qui s’habillent à l’européenne, c’est à dire tel que chez nous mais elles ne portent point de corset, elles sont donc la taille très forte et ne sont pas si élégantes qu’en France.L’homme, qui généralement est charmant, a droit à plusieurs femmes, on peut les considérer plutôt comme des esclaves. Il peut, s’il a les moyens, se payer un « harem ».Une chose qui m’a surpris ici c’est leurs moyens de transport, ils se font presque tous à dos d’homme : ils portent ainsi des charges considérables. On voit encore quelques attelages de buffles attelés par le cou et conduits tout juste avec un bâton. L’argent turc a très peu de valeur car cent francs français représentent mille quatre cent piastres turques mais on n’y gagne guère car on paye les marchandises très chères. Un journal : 2 piastres et demi ; un verre de limonade : 10 piastres ; une carte postale : 2 piastres et demi. La piastre en temps de paix représentait le franc, à présent, elle égale les 10 centimes. Le 12 juillet, je suis allé en Asie, à Seutarie ayant traversé le Bosphore à bord d’un bateau passager turc. Les préparatifs du 14 juillet s’avançaient déjà beaucoup ; le 13 au matin des rues disparaissaient sous les guirlandes et les drapeaux mais pour nous, on n’a pas connu de fête cette année, on l’a passée la journée en mer en songeant aux fêtes grandioses qui se donnaient à Paris en l’honneur de la victoire. Mille drapeaux devaient défiler avec vingt cinq mille poilus alors que nous nous éloignons encore davantage de notre cher pays.

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